Chants Populaires par Lukas Geniusas – Sortie le 24 septembre 2021

A première vue, la musique folklorique et la musique classique peuvent être considérées comme deux formes d’expression artistique opposées : l’une découle d’une culture fondamentale non écrite, mue par la pratique collective et l’instinct ; l’autre correspond à un langage musical perfectionné et inventif, généré par des choix esthétiques opérés de manière consciente par un esprit créateur. La musique folklorique s’inscrit dans un monde vaste, mouvant, tandis que la musique classique offre un ensemble général d’oeuvres analysables et savantes, transcrites sur du papier à musique.

Ceci étant dit, aussi loin que remonte la profession de compositeur, la musique classique n’a cessé de faire des incursions dans le folklore. A différentes époques, le domaine folklorique fut considéré comme l’antithèse indispensable au façonnement d’une identité savante, comme le royaume bucolique de « l’homme naturel » en tant que métaphore du peuple ou Volksgeist – lié au concept d’une nation mythifiée et unifiée – corroborée par certaines aspirations politiques, comme l’objet d’une recherche ethnographique approfondie ou une région éthérée de la mémoire, un pays de l’innocence, une culture disparue depuis longtemps n’ayant pas laissé de trace. Dans l’ordre chronologique, le programme de ce disque propose trois approches très différentes de l’idiome folklorique d’Europe centrale et de l’Est dans la musique pour piano dite « sérieuse ». Doumka de Tchaïkovski – « scène de la vie paysanne russe » composée en 1886 au moment où la Russie se situe à son apogée dans sa quête d’un langage musical national conscient, est suivie des Quinze chansons paysannes hongroises écrites en 1914-18 par le pionnier du néo-folklorisme, le gznie hongrois Béla Bartok. Le XXIe siècle est représenté par Leonid Desyatnikov, l’un des maîtres russes les plus exceptionnels, avec ses Chants de Bucovine (2017), un cycle de préludes pour piano qui combine la structure habituelle réunissant toutes les tonalités majeures et mineures brillamment exploitée par Chopin et Chostakovitch, avec des souvenirs auditifs angoissants issus de l’enfance ukrainienne du compositeur et un authentique matériau folklorique emprunté à une anthologie soviétique.